La durabilité des effets plutôt que l'optimisation de la production
Optimiser, pourquoi pas, mais optimiser la production pousse à ne pas donner assez d'importance aux effets du résultat, en privilégiant la productivité sur l'impact.
Après la division du travail, la division du temps et l’individualisation, l’optimisation de la production est un avatar du management libéral des organisations visant à mieux s’adapter aux contraintes du marché.
Avec en tête le 2e principe fondamental de l’agilité - les boucles de feedback orientées utilisateurs — la question du résultat obtenu par le travail de l’équipe se pose régulièrement.
L’attention au résultat peut se décliner en 3 sujets :
- Livraison (delivery), comment est considérée la livraison du résultat aux utilisateurs.
- Priorité, comment sont traités les demandes et les aléas.
- Valeur, comment sont évalués les effets (impacts) du résultat.
Voyons comment l’agilité se positionne sur ces 3 points.
Livraison
Un principe de l’agilité, présenté dans les boucles, est la livraison fréquente. Mal compris ce principe tend à donner une orientation vitesse à la production du résultat.
Cette idée de vitesse, voire d’accélération, est poussée par le management. L’intention sous-jacente est d’aller plus vite sur le marché (le time-to-market). Elle est renforcée par la notion de vélocité couramment associée à Scrum.
Une agilité mieux comprise est focalisée sur la qualité. Il ne s’agit d’aller vite, il s’agit de faire bien. Le fait que ça revienne souvent, avec les boucles courtes, n’est pas une autorisation à faire mal sous prétexte que la boucle est courte.
Dit autrement, les sprints (ou itérations) ne sont pas un moyen de produire vite en étant guidé par les chiffres, mais d’apprendre en visant la qualité.
Cette pseudo-agilité associée à la vitesse provoque des antipatterns maintenant bien connus, qui constituent des inattentions flagrantes au résultat.
Par exemple, l’engagement forcé sur une vélocité pour un sprint provoque du stress dans l’équipe et entraîne une mauvaise qualité. Une agilité bien maîtrisée repose sur un rythme soutenable, incompatible avec les cadences infernales parfois subies.
Voici 4 antipatterns avec la réponse apportée par l’agilité dans son attention au résultat :
antipatterns dus à l’orientation vitesse | focalisation qualité |
---|---|
cadences infernales | rythme soutenable |
livraison à l’arrache | acceptation du résultat avec les utilisateurs |
dette technique | maintenabilité |
notion de fini pas claire | définition de fini |
Priorité
On a vu qu’avec les boucles, on coopérait avec les utilisateurs pour leur donner le résultat correspondant à leurs besoins. La notion de priorité est cœur de ce mécanisme.
La fluidité de ce mécanisme est parfois perturbée par un principe souvent confondu avec l’agilité : la flexibilité.
La flexibilité est l’ensemble des moyens qu’une entreprise peut utiliser pour s’adapter suffisamment rapidement aux changements de demandes et d’environnement. Ces moyens touchent en particulier à l’aménagement des horaires et temps de travail, à la mobilité, au recours à la sous-traitance, au maintien des compétences, à la capacité d’innovation.
Sous prétexte d’optimisation des moyens, la flexibilité provoque de sévères atteintes dans l’attention au résultat que porte une équipe, en violant les fondamentaux de l’agilité et en compromettant la durabilité des effets du résultat.
Voici 4 antipatterns avec la réponse de l’agilité :
antipatterns dus à la flexibilité | fluidité de l’agilité |
---|---|
urgences continuelles | pas d’interruption pendant un sprint |
multi-tâches | focalisation sur une tâche |
beaucoup de taf en même temps | limite sur les travaux en cours |
injonction à s’adapter au changement | changement décidé par l’équipe |
Valeur
La valeur est centrale dans l’agilité, on la met en avant fréquemment mais cette notion n’est pas facile à utiliser concrètement, d’autant plus qu’elle nous entraîne dans l’économie et donc la politique.
Elle nous intéresse ici, dans l’attention au résultat, car elle permet d’évaluer (un mot qui a la même origine)les effets du résultat. De plus, avant d’avoir un résultat, la valeur (estimée !) est utilisée pour prioriser et donc orienter le contenu.
Dans la situation actuelle, la durabilité des effets de ce qu’on produit est à considérer en priorité. Ce n’est pas le cas dans la majorité des entreprises, où on est resté sur l’optimisation de la production sans se préoccuper beaucoup des impacts du résultat, si ce n’est du point de vue économique.

L’économie qui devrait au service des gens et bien souvent au service des seuls actionnaires. Plutôt que maximiser le profit, il faudrait maximiser le partage pour aller vers la durabilité des effets :
maximisation du profit | maximisation du partage |
---|---|
business as usual | pensée complexe systémique |
innovation à marche forcée | régénération |
numérisation à outrance | éco-conception |
manque de démocratie | bien commun |
Continuer le business as usual, c’est une façon de pratiquer l’inertie en attendant l’effondrement. L’agilité a la capacité de devenir l’outil d’une stratégie de transition vers autre chose (par exemple la décroissance).
Ce thème — l’attention au résultat — constitue un des chapitres de la masterclass Scrum et agilité que j’ai faite avec Pablo, nous y présentons nos points de vue et échangeons sur ce sujet difficile. Il y a également un chapitre sur la transition.