Vers une agilité essentielle, le podcast Frugarilla

Quel avenir pour l’agilité face aux limites planétaires ?

J’ai participé au podcast Numériques Essentiels 2030. Le titre de l’épisode est Vers l’agilité essentielle. C’est le 13e diffusé par Frugarilla, un collectif issu d’Octo.

L’épisode était animé par Alexis, avec Sara à la conclusion. Il y a toujours deux invités dans Numériques Essentiels 2030.

J’y étais avec Laurent Morisseau. On se connaît depuis longtemps. On a donné des formations Kanban ensemble, j’ai écrit la préface de son livre Kanban pour l’IT. Plus récemment, Laurent a animé avec Pablo et moi les derniers Raids Agiles.

Ah, le Raid Agile, la formation mythique dans les Cévennes ! Nous y avions vraiment le temps d’échanger sur de sujets et d’exposer des points de vue différents, bref de faire des discussions.

Le dernier Raid, c’était en juin 2018. Depuis je n’ai pas revu Laurent — et toujours pas, car le podcast a été enregistré à distance. Il a évolué vers les OKRs et l’entreprise agile et moi vers… Et maintenant.

C’est la première fois que je parle dans un podcast. J’avais été interviewé plusieurs fois mais pas encore sous cette forme. Ce n’est pas aussi facile qu’au Raid Agile !

Au moment de l’enregistrement, en mars, j’ai été étonné qu’Alexis nous annonce la conclusion. Je pensais qu’on n’avait pas encore dit l’essentiel. L’idée de départ était l’agilité de la décroissance et ce sujet n’avait pas été abordé.

Finalement le podcast s’est appelé vers l’agilité essentielle — ce qui me va bien — et on n’a pas parlé de décroissance. Mais quand même d’anthropocène…

Après l’enregistrement, j’avais l’impression que nous avions pas eu beaucoup d’échanges avec Laurent. Je viens de l’écouter en entier et je n’ai plus tout à fait le même ressenti, notamment sur la fin du podcast.

J’apporte dans cet article quelques compléments sur les premiers sujets abordés.

Introduction : définition de l’agilité

Alexis a commencé en citant ma nouvelle définition de l’agilité, celle à laquelle m’ont mené mes réflexions pour la keynote d’Agile Grenoble sur L’agilité de la décroissance.

Voici le schéma qui accompagne cette définition :

le quadrant des 4 fondamentaux

On retrouve ces fondamentaux dans la Fresque de l’agilité.

Agilité radicale

Alexis m’a invité à présenter l’agilité radicale. Comme j’aime bien parler de son origine, ma réponse a été un peu longue pour un début de podcast.

Le collectif agile radical poursuit son existence tranquille (nous avons passé une belle journée ensemble la semaine dernière). Nous publions une revue de presse, animons des klubs de lecture et sommes les concepteurs de la Fresque de l’agilité. Nos réflexions ont contribué à considérer la robustesse et la sobriété comme des fondamentaux de l’agilité.

Il n’a jamais été question pour nous de donner naissance à une autre agilité, de dire qu’il y aurait d’un côté l’agilité radicale et de l’autre l’agilité normale (par contre, on ne se gêne pas pour dire qu’il y a du faux-agile). À vrai dire depuis qu’on a conçu la Fresque de l’agilité, je considère que l’agilité radicale, c’est simplement l’agilité d’aujourd’hui ou l’agilité essentielle, pour reprendre le titre du podcast.

Trouble de l’agilité

Nous avons ensuite été questionnés sur le trouble de l’agilité.

Laurent a parlé avant moi du succès de l’agilité opérationnelle et émis l’hypothèse que les bénéfices n’étaient pas au rendez-vous pour l’entreprise parce qu’il manquait l’agilité stratégique.

Quand mon tour est venu j’ai évoqué le début de mon trouble en 2008 avec la certification Scrum et j’ai embrayé sur les deux voies de l’histoire du pilotage du travail : celle issue du taylorisme, orientée contrôle et celle d’où vient l’agilité privilégiant l’autonomie des équipes.

Ma thèse sur la situation de l’agilité aujourd’hui c’est que la voie du contrôle a évolué. J’ai présenté cette évolution avec le terme de néo-libéralisme tel que défini par Barbara Stiegler1, un mouvement qui a poussé les notions de performance individuelle et de flexibilité.

Le gros trouble actuel de l’agilité, c’est qu’on essaie de faire passer la flexibilité du travail pour de l’agilité.

Comme j’étais concentré sur ce que je disais, je ne suis pas revenu sur les propos de Laurent. Pour être clair, je récuse les notions d’agilité opérationnelle et d’agilité stratégique ; elles tendent à faire perdurer l’idée venant du taylorisme qu’il y a ceux qui réfléchissent et ceux qui exécutent.

Pour moi, l’agilité est unique, c’est une philosophie du travail qui s’applique à l’ensemble (organisation des personnes, conception du temps, la question du sens, l’attention au résultat).

Manifeste

La question d’Alexis sur les manifestes a été l’occasion d’affirmer ensemble qu’on n’en avait pas besoin de nouveau2;

J’ai essayé de faire passer ma conviction qu’il valait mieux s’accorder sur des principes que sur des valeurs pour se réclamer de l’agilité.

Le point-clé de nos échanges concernant cette partie porte sur la position de l’agilité.

Est-ce une rupture ou une évolution ? Laurent dit évolution plus que rupture. Il affirme aussi que différents modèles (dont l’agilité) peuvent cohabiter.

Rupture ou évolution ? Je ne sais pas quel mot convient le mieux, peu importe dirais-je. Par contre l’idée de cohabitation de modèles ne me satisfait pas. Il aurait fallu aller plus loin pour savoir ce que Laurent entendait par là.

On ne peut pas travailler en appliquant en même temps 2 philosophies différentes du travail.

Plus concrètement on ne peut pas avoir comme principes à la fois la division du temps (processus standardisé, hiérarchie, contrôle) et l’auto-organisation (démarche pragmatique, autonomie, confiance). Ils sont opposés. C’est l’un ou l’autre pour une équipe qui travaille même si bien sûr des cohabitations de quelques pratiques sont possibles pendant la transition.

Robustesse

Alexis nous a ensuite lancés sur la robustesse. Le petit livre d’Olivier Hamant Antidote au culte de la performance m’a inspiré au point d’utiliser robustesse dans les fondamentaux de l’agilité. Mais il s’agit de la robustesse de l’équipe, qui correspond à de la robustesse sociale.

Nous nous sommes accordés avec Laurent sur la définition de la robustesse donnée par Olivier Hamant :

capacité à se maintenir stable3 sur le court terme et viable sur le long terme, malgré les fluctuations.

Comme l’a rappelé Laurent la robustesse nécessite une forme de redondance. Cela s’applique bien à une équipe agile dans laquelle la spécialisation (risque de non robustesse) est rejetée au détriment de la pluridisciplinarité. L’équipe devient plus robuste si les compétences et les capacités clés sont partagées par plusieurs personnes.

Olivier Hamant oppose très nettement la robustesse à la performance. Comme principe fondamental de l’agilité, la robustesse de l’équipe s’oppose à l’individualisation (recherche de la performance individuelle).

Le culte de la performance et le recours à la flexibilité du travail amènent typiquement au faux agile, malgré la croyance que l’auto-organisation et les boucles suffisent :

le quadrant du faux agile

Dans la suite du podcast, nous échangeons sur l’anthropocène, c’est à dire comment prendre en compte les limites planétaires dans l’agilité : valeur sociale, impact écologique, OKR, équipe vs entreprise…

Pour écouter le podcast :


  1. voir la note de lecture de son livre Il faut s’adapter ! dans Phrénosphère↩︎

  2. En 2020, nous avons publié le manifeste de l’agilité radicale, mais c’était simplement un retour aux racines doublé d’une prise en compte du nouveau contexte. ↩︎

  3. Stable ne veut pas dire statique, comme l’écrit Jurgen Appelo dans Unfix. ↩︎

Articles liés