L'agilité DE la décroissance : inflexions

Comment faire évoluer l'agilité pour qu'elle devienne celle de la décroissance.

L'agilité DE la décroissance : inflexions

Voici le script de ma keynote à Agile Grenoble, la partie essentielle, celle du changement de modèle, avec les slides 21 à 28.

Cet article fait partie d’une série, commencez par le début.

Slide 21

L’agilité POUR montre qu’il y a adéquation sur de nombreux sujets entre l’agilité et la décroissance. Une même philosophie, une communauté de pensée.

Il est temps de passer à l’agilité DE la décroissance, en montrant comment elle devrait évoluer pour contribuer à la transition.

Passer du management moderne à l’agilité demande un changement de paradigme, passer de la croissance à la décroissance aussi, encore plus car la portée est plus grande.

Slide 22 : Changement de paradigme

Serge Latouche est un théoricien de la décroissance. Il dit bien qu’il faut sortir de la société de consommation. Parrique, lui, dit qu’il faut en finir avec le capitalisme. Arthur Keller parle d’arrêter le productivisme. Peu importe le mot, l’important est le changement de modèle ou de paradigme qui va avec.

La décroissance n’est pas neutre économiquement. Elle prône la fin du capitalisme (même en dehors de la décroissance de nombreuses voix disent que le capitalisme est incompatible avec le réchauffement climatique1).

L’agilité de la décroissance doit agir sur le système productif. Je propose deux inflexions :

  • la première chose à faire est de redéfinir un système de valeur,
  • la seconde d’amplifier l’autonomie de l’équipe pour lui permettre de peser sur les décisions “produit”.

Slides 23, 24 et 25 : Modèle de valeur

À quoi sert un modèle de valeur ? À prioriser lors de la planification.

Le manifeste premier principe :

Notre plus haute priorité est de satisfaire le client en livrant rapidement et régulièrement des fonctionnalités à grande valeur ajoutée

Il est à revoir. Il associe valeur à client mais la notion de client est mal définie. En redéfinissant la valeur, il faut clarifier.

le modèle de valeur du résultat

Tout d’abord il y a à lever la confusion sur la valeur d’usage qui est considérée comme de la valeur d’échange.

Valeur écologique et sociale, comme les prendre en compte ?

  • y penser, agir sans attendre des normes imposées ou la RSE,
  • plutôt que de voir des contraintes, voyons les bénéfices,
  • prendre en compte l’impact de la conception, mais aussi celui de la mise en service et de la maintenance.

Slide 26 : Autonomie amplifiée

La 2e inflexion à donner à l’agilité, je l’illustre avec cette citation d’Alain Supiot un spécialiste du droit du travail :

On ne répondra pas aux défis sociaux et écologiques qui sont les nôtres sans permettre aux travailleurs de peser sur ce qu’ils font et la façon dont ils le font.

Dans le domaine de l’agilité les travailleuses et travailleurs pèsent déjà. Car l’agilité promeut l’auto-organisation. Cependant elle n’est pas toujours bien appliquée.

Sur le QUOI c’est-à-dire ce que fait l’équipe — le résultat de son travail — c’est encore moins appliqué.

Pourtant il y a le Product Owner. Littéralement le propriétaire du produit. Propriétaire ? J’avais tendance à dire que le terme était discutable, mais finalement si on le prenait au pied de la lettre ? Le PO est propriétaire, le PO est dans l’équipe, donc l’équipe est propriétaire du produit. Il y avait déjà la responsabilité collective du code dans XP, passons à la responsabilité collective du produit. Supprimons le rôle de PO par la même occasion.

Sortons de la vieille idée que puisque vous êtes payés pour votre travail individuel, donc le résultat n’est pas à vous alors qu’il est le fruit d’un travail collectif. C’est Proudhon qui disait :

Tout capital, soit matériel, soit intellectuel, étant œuvre collective, forme par conséquent une propriété collective.

L’autonomie étendue cela signifie simplement avoir la capacité d’appliquer le modèle de valeur (usage, social et écologique).

Slide 27 : SNCF

J’ai pris comme exemple la fonctionnalité de cashback sur SNCF Connect après le paiement de son billet. Elle propose insidieusement aux utilisateurs de se faire rembourser une partie du prix payé. L’offre semble alléchante mais un clic trop rapide, et les voilà abonnés à ce service, facturé 18 € par mois.

C’est une fonctionnalité toxique, utilisée par plein d’autres sites.

Il y a bien un Product Owner qui a accepté cette fonctionnalité et des développeurs qui l’ont intégrée. Une équipe agile avec l’autonomie amplifiée refusera de développer ce genre de choses à valeur sociale négative.

Slide 28 : Communs

Pour aller plus loin, il sera nécessaire de faire des résultats du travail d’une équipe des biens communs.

Le noyau Linux, l’encyclopédie Wikipedia sont des exemples de bien commun. Pour réussir la décroissance il faudra multiplier les communs, faire sortir du modèle marchand des services à vocation partageable.

Il existe déjà des multitudes de coopératives ou d’entreprises à mission, dont la raison d’être est de mieux partager les résultats.

Cette inflexion qui consiste à étendre l’autonomie de l’équipe possède des vertus sociales. Elle permet de diminuer la dissonance cognitive qui survient quand vos actions ne sont pas en accord avec vos croyances. Si vous croyez qu’il faut réduire l’empreinte, agissez dans ce sens, dans votre travail aussi.

Être en accord avec ses idéaux c’est la clé pour éviter la souffrance au travail.


  1. par exemple Jean Jouzel éminent climatologue après un débat avec le Medef. ↩︎