Vision partagée
Le secret d'une vision commune : partir de la vision du sponsor, en tirer la mission de l'équipe et en déduire les objectifs de la prochaine saison. Faciliter sa construction avec des ateliers et faciliter son partage en présentant tout cela sur la charte projet.
Je viens de préparer et animer en équipe (un merci spécial à Violaine) deux sessions d’une demi-journée sur comment la facilitation peut aider à obtenir une vision partagée. L’occasion pour moi de revenir sur cette notion — la vision partagée — sur laquelle, comme beaucoup, j’ai évolué sur le “résultat” attendu et sur la façon de l’obtenir.
Qu’est ce que la vision ?
Un peu d’histoire
J’ai entendu parler de la vision, au sens où nous l’utilisons ici, c’est-à-dire la vision produit, avec le RUP à la fin des années 90, au siècle dernier donc. Le résultat (l’artefact comme on disait) était un document, pas très long par rapport aux documents de spécification mais quand même jusqu’à une dizaine de pages. À l’époque je demandais à mes étudiants de l’IUP ISI d’écrire des documents Vision au démarrage de leurs projets. Je leur expliquais ce que c’était en cours et leur donnais un plan type. C’était un excellent exercice pour eux que de rester sur les points essentiels sans rentrer dans les détails.
Quand l’agilité a déferlé, la documentation a reculé et les jeux ont pris le dessus, ce qui est bien mieux pour partager (la vision ou autre chose). Pour définir une vision (ou la remplacer), les possibilités se sont multipliées : Innovation Games, Impact Mapping, Lean Startup et bien d’autres.
C’est pour cela que j’ai écrit, dans un article Visions publié en 2016, que le concept était en déclin.
Je me suis trompé, la vision est toujours nécessaire et importante, c’est pourquoi je dédie cet article à Luigi, en présentant ma nouvelle vision de la vision.
Références
Le retour de la vision au premier plan me vient de la lecture de LiftOff, sur lequel je me suis appuyé pour écrire la partie Prélude de Scrum édition 6.
Lift Off c’est le livre de Diana Larsen et Ainsley Nies paru en 2016 dans The Pragmatic Bookshelf. C’est du solide.
James Shore s’appuie sur son contenu dans son édition 2 de The Art of Agile development. Il présente très bien l’importance de la vision dans le chapitre Purpose.
Je résume cette approche, qui constitue aussi un retour aux fondamentaux :
La vision (produit) est d’abord exprimée par le sponsor ou commanditaire. Elle peut être reformulée collectivement, puis l’équipe y répond en déclinant sa mission. Pour s’assurer que la mission est sur les bons rails, on définit des tests avec les résultats clés attendus.
Ma nouvelle vision
Dans Scrum édition 6, j’aborde cette notion dans la partie Prélude. On y trouve les trois composants (Product vision, team mission, mission tests) mais j’ai un peu changé le contenu et l’ordre proposés par Liftoff :
- dans le chapitre Naissance de l’équipe, je fais passer la réflexion sur la convivance de l’équipe avant l’approfondissement de la vision et de la mission,
- je ne parle pas de tests sur la mission, mais d’objectifs que j’associe à une saison (3 mois).
C’est pourquoi le canevas dessiné par Violaine comportait ces 3 cases :

Ce canevas est une version simplifiée pour la sensibilisation à la facilitation de ce que je présente dans l’article charte projet.
- La vision, portée par le sponsor, exprime le futur désiré des utilisateurs du produit.
- La mission, définie par l’équipe, exprime ce qu’elle envisage de faire pour atteindre la vision. Elle précise la valeur attendue et décrit comment l’obtenir.
- La saison est la période sur laquelle on décline la mission en objectifs.
Facilitation pour une vision partagée
La facilitation contribue à ce que la vision soit vraiment partagée et imprègne la vie de l’équipe.
Il vaut mieux réfléchir à une vision dès la naissance de l’équipe, c’est pourquoi on fait en général appel à des facilitateurs en dehors de l’équipe, qui ne possède pas encore les capacités souhaitées, pour animer le prélude, et donc les ateliers sur la vision.
La facilitation incite le sponsor à formuler sa vision initiale et l’équipe à y répondre en élaborant elle-même sa mission. Le partage de la vision et de la mission pousse à un consensus à travers les échanges.
L’accord sur une vision partagée nécessite en général deux boucles d’échanges : la première pouvant avoir lieu avant que l’équipe soit complètement constituée, la deuxième inclut toute l’équipe.
Les outils et techniques de facilitation que je présente ci-dessous ont été choisis dans l’optique d’expérimenter avec les futurs facilités l’obtention d’une vision partagée en une demi-journée. Pour les ateliers, nous avons constitué des groupes de 8.
Premier composant : Vision
Product Vision
L’objectif de cette première partie est d’amener le groupe à rédiger un draft de vision. On leur fournit un exemple ou ils en choisissent un dans leur contexte et on leur demande de choisir un rôle parmi plusieurs (sponsor, utilisateurs, PO, développeur).
Le sponsor est la personne qui décide d’accorder le budget, d’affecter des personnes et de donner des moyens à l’équipe pour développer un produit. Il est généralement celui qui reçoit les revenus tirés des résultats de l’équipe. Pour l’atelier, c’est lui qui exprime l’idée du produit.
Réflexion individuelle
Cette partie se fait en silence. Chaque participant s’efforce de répondre à la question :
en quoi le produit changera le monde (ou plus modestement la vie des utilisateurs) ?
Chacun est invité à se mettre dans la peau du rôle qu’il joue pour noter ses réponses sur des post-it.
Regroupement par affinités
Chacun colle ses post-it sur un paperboard. L’animateur demande aux participant·es de les regrouper (3 à 7 groupes), et de donner un nom à chaque groupe. Les discussions sont encouragées.
Énoncé de la vision (première version)
Les noms des regroupements sont la base pour écrire le premier énoncé de la vision. C’est la personne qui joue le rôle de PO qui l’écrit et le place dans la case du canevas prévue pour cela. Tout le monde l’aide ; en cas de désaccord, le sponsor décide.
Affiche du produit
L’atelier est une variante de la boite du produit, une pratique ancienne et répandue de marketing, qu’on retrouve dans le livre Innovation Games. On demande au groupe de faire l’affiche informant les utilisateurs que l’application dont ils rêvent est disponible. Les participants ont carte blanche pour élaborer l’affiche. Pour les orienter, on leur annonce qu’ils auront, après avoir fait l’affiche, à l’utiliser pour vendre l’idée aux autres groupes. C’est un atelier qui fonctionne toujours : il complète le draft écrit de vision par une réalisation collective et parfois esthétique.
Deuxième composant : Mission
Team Mission
Cette deuxième partie est la plus délicate à faciliter. Je la détaille dans un article dédié à la mission.
Troisième composant : Saison
correspond à la notion de Mission tests dans LiftOff
La vision et la mission sont des notions qui fixent un cap. Pour savoir si l’équipe suivra la bonne direction, elle se donne des tests, sous forme des impacts clés quantitatifs qui permettront d’évaluer le chemin parcouru afin d’infléchir la direction à suivre si nécessaire. L’horizon proposé est la saison, donc un trimestre.
Souvenir des impacts
Atelier adapté de Souvenir du futur, un des Innovation Games, décrit dans cet article.
On demande aux participants de se téléporter dans le futur, dans quatre mois. Pendant le dernier mois, ils ont utilisé quotidiennement l’application qui a été déployée à la fin de la saison. C’est un atelier qui marche bien si on présente correctement le retour dans le passé, à partir du futur.
En remontant dans le mois qui vient de s’écouler, les participants sont invités à donner les impacts qu’a eus l’application sur leur vie, ce qui a changé leur comportement. On peut s’appuyer sur les bénéfices identifiés pour la mission.
Un impact devrait pouvoir être mesuré, avec des données quantitatives.
Impacts clés
Les résultats de l’atelier Souvenir des impacts sont regroupés en 3 à 5 impacts. Par exemple un ou deux sur l’aspect usage, un pour le social, un écologique. À chaque objectif on associe un ou plusieurs impacts clés.
Un exemple est présenté dans cet article PermaBio fait sa POLICE
Partage de la vision : la charte projet
Le partage effectif de la vision repose sur la charte projet. Pour cet exercice, j’en ai fait une version simplifiée de la charte projet avec CARE.
La charte permet de rendre visible la vision et la faire vivre.
Importance de partager une vision
Une vision partagée donne la boussole à l’équipe. Elle permet d’éviter des conflits pendant une activité (en principe, l’équipe est alignée). Les décisions sont prises en gardant à l’esprit la mission de l’équipe.
Pour que la vision et la mission ne restent pas des objectifs lointains déconnectés de la réalité et finalement oubliés, la déclinaison de la mission sur l’horizon de la saison qui vient est essentielle. C’est le chainon fondamental entre la stratégie et la tactique.
Cela implique que la vision partagée soit examinée régulièrement —toutes les saisons— afin de définir les objectifs de la nouvelle saison et, éventuellement, de revoir la mission, voire la vision.