La prise de décision collective

Dans une équipe on passe son temps à prendre des décisions. Comment le faire plus efficacement ?

Sommaire

On décide pour agir. Une décision retardée freine l’action, une décision mal prise risque d’être mal comprise. Pour diminuer le nombre et l’importance des conflits et agir malgré l’incertitude, l’équipe réfléchit et améliore sa façon de prendre des décisions.

La décision collective

Décider vs choisir

Tout d’abord, décider se distingue de choisir. Le choix est considéré comme rationnel, il peut s’expliquer, il a un côté scientifique. Par contre, il est parfois difficile de justifier une décision qui est prise sur l’instant, de façon instinctive.

Exemple : un couple décide de se marier — dans un moment de félicité — mais choisit le lieu pour la fête (avec des critères de sélection précis).

Agir malgré le doute, comme on le fait quotidiennement dans nos métiers (et dans la vie), c’est décider et cela ne repose pas seulement sur des raisonnements, mais aussi sur des émotions.

La dimension collective

La dimension collective ajoute le besoin de délibération pour arriver à une décision.

Car un groupe, c’est plus qu’un agrégat de préférences individuelles qu’il suffirait de quantifier et de passer dans une moulinette pour arriver à la décision.

Pour décider, il convient que toutes et tous comprennent les options concurrentes, voire les font émerger, avant de les évaluer et d’en choisir une.

Décider en équipe c’est donc d’abord délibérer. Mais pas seulement : une décision collective s’impose à tous, elle devient une obligation, c’est-à-dire un engagement à appliquer le résultat de la décision.

La dimension agile

Les deux fondamentaux de l’agilité sont les boucles orientées utilisateur et l’équipe auto-organisée.

L’équipe

La dimension agile oriente la prise de décision vers des formes non autoritaires. En effet, une équipe agile pratique l’auto-organisation, ce qui veut dire que c’est elle qui décide comment organiser son travail.

La prise de décision autoritaire, celle qui vient encore en premier dans l’esprit de beaucoup de monde —c’est le chef qui doit décider— ne correspond pas à la vision d’une équipe agile. C’est d’ailleurs est un signe qui permet d’identifier le faux-agile.

Cependant, son niveau d’auto-organisation évolue dans le temps et donc les limites de son pouvoir varient ainsi que sa façon de prendre des décisions.

Les boucles

Dans le système à boucles de feedback de l’agilité de nombreuses décisions sont réversibles, ou tout du moins on peut les réexaminer si elles ne sont pas suivies des actions attendues. Cette réversibilité renforce la possibilité d’agir dans l’incertitude.

Les composants d’une décision collective

Des modes de décision souvent utilisés par les équipes ne sont pas totalement satisfaisants :

  • la recherche de l’unanimité —on discute jusqu’à ce que tout le monde soit d’accord— prend du temps voire n’aboutit pas toujours,
  • le vote majoritaire —on passe vite au vote pour éviter les discussions— crée des frustrations pour ceux qui sont dans la minorité.

Dans le premier cas, c’est le manque d’une règle d’arrêt claire qui est la cause du problème. Dans le second, la cause est souvent l’absence de débat préalable au vote.

Car dans une décision collective les deux composants sont fondamentaux :

  • la délibération qui peut prendre des formes multiples, avec des durées variables (de quelques minutes à un mois !)
  • la règle d’arrêt, c’est-à-dire la recette à visée pratique qui permet de choisir en arrêtant la délibération, mais aussi de faire de la décision une obligation qui s’impose à tous.

Ces notions sont reprises de Philippe Urfalino qui a publié Décider ensemble, la fabrique de l’obligation collective.

Délibération

Une délibération collective peut être informelle, ce qui est heureusement souvent le cas. Mais elle ne permet pas toujours l’expression (y compris la réception de leurs émotions) de tous les participants, qui dépend de leur sécurité psychologique. Pour susciter les avis de chacun, voire révéler des oppositions de manière frontale, on peut s’appuyer sur des techniques d’animation, comme le débat mouvant.

D’autres approches s’appuient sur ce qu’on peut appeler des processus de décision, incluant des étapes qui guident le groupe.

Les deux qui sont probablement les plus utilisés par des équipes auto-organisées sont :

Règle d’arrêt

La règle d’arrêt met fin à la délibération pour sélectionner l’action qui aura le statut de la décision s’imposant à tous. Elle n’est pas toujours explicite ce qui peut poser problème. S’il y a de nombreuses options1 pour s’arrêter, les 2 techniques les plus employées dans les équipes sont la non opposition et le vote.

La non opposition ne signifie pas que tout le monde est d’accord (unanimité), elle s’entend quand personne ne conteste explicitement la décision (consensus).

Le processus de décision par consentement vise cet objectif, sans garantie d’y arriver. Il procède, comme d’ailleurs la sollicitation d’avis, à la réduction des opinions, en intégrant les objections ou conseils dans les options proposées.

Le vote est une règle d’arrêt courante (surtout le vote majoritaire) qui a l’avantage de donner exactement le même poids à chaque participant. Il existe de nombreuses formes de vote. Dans les équipes agiles, on pratique couramment le vote à points (dot voting). La technique la plus ancienne de vote est le planning poker, utilisé pour décider collectivement des priorités dans un backlog.

Certaines formes de vote sont originales, comme le vote par consentement systémique2 intègre la notion d’objection (du processus de consentement).

Avec la sollicitation d’avis, le pouvoir de décider est laissé à une seule personne, qui définit sa règle d’arrêt. Attention, cela n’est pas un retour à la décision autoritaire de cette personne, le processus embarquant des notions d’entraide et de réciprocité.

Quelle que soit la technique utilisée, il est essentiel que la décision s’impose à tous, ce qui la fait devenir une obligation, l’équivalent d’une règle.

Les critères influençant la façon de prendre une décision

Les techniques de délibération et d’arrêt dépendent du contexte, de la chose à décider, ainsi que du groupe. Faciliter une prise de décision c’est proposer (et animer) les outils et techniques adaptés au contexte.

Réversibilité

Certains décisions sont réversibles. Les boucles de feedback peuvent amener à revoir ces décisions sur lesquelles on peut revenir (devenues inadéquates, absurdes ou contestées). On peut donc y passer moins de temps en délibération que si elles sont irréversibles, et donc prendre la décision plus vite.

Expertise

Une prise de décision peut nécessiter de l’expertise en dehors du groupe. Attention à ce que l’expert n’emporte pas la décision au détriment des coéquipiers !

Impact

Le résultat d’une décision peut avoir un impact variable :

  • sur une seule personne (dans ce cas, qu’elle décide toute seule !)
  • sur une équipe
  • sur une équipe et ses parties prenantes
  • sur toute une organisation

Plus l’impact est important, plus le besoin de délibérer est grand, avec les personnes impactées.

Forme des options

À noter que la forme du choix peut être variable :

  • pour ou contre une proposition (on le prend le nouveau ?)
  • un choix parmi plusieurs alternatives (restau mexicain, libanais ou pizza ?)
  • un ordre de préférence dans une liste (ordre du backlog ?)

Les données d’aide à la décision

On dispose parfois de données collectées en amont du processus de décision (ou pendant). Certaines sont souvent des estimations (de la valeur et du coût d’une option), donc avec de l’incertitude, source de débats.

Sinon, la construction des options fait partie du processus de décision.

Décider qui décide

Tout d’abord il existe de nombreuses situations où la décision peut être prise de façon individuelle : chaque fois que l’impact ne concerne qu’une personne. Pas besoin de facilitation.

Si la décision impacte uniquement des coéquipiers (qui se connaissent bien), la recherche du consentement est privilégiée. La personne qui porte la proposition est celle qui a eu l’idée, si elle a la capacité de le faire. Si ce n’est pas le cas, elle pourra déléguer cette responsabilité. Quand la délégation n’est pas évidente, on pourra utiliser l’élection sans candidat pour identifier le porteur.

Si la décision impacte largement au-delà de l’équipe, le besoin de délibération est important. En fonction des résultats de la délibération, on pourra s’orienter vers un vote ou passer par un processus de sollicitation d’avis. Dans ce cas il convient aussi de décider quelle personne porte la proposition et finalement décidera.

Décider qui décide et décider comment décider, c’est sûrement le point-clé de l’amélioration, approfondi dans les articles suivants.


  1. La liste des méthodes de décision de Jurgen Appelo qui, en fait, sont plutôt des règles d’arrêt. ↩︎

  2. Le consentement systémique est présenté dans cet article de 2015 ↩︎

La prise de décision collective

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